J’entends son rire sonore au téléphone lorsque je lui demande : « si tu étais un fruit, lequel serais-tu? » Tout en excluant d’emblée la chayotte, non originaire d’ici, dont je sais qu’il raffole car je connais son amour pour ce fruit de son pays natal, son île, sa patrie malgache… Un sourire dans la voix, il me répond « alors, je serai le fruit défendu ». Re rires! Plus sérieusement, il aimerait être la rhubarbe ;« c’est presque indicible » soutient-il, mais il aime l’acidité de la rhubarbe, les multiples possibilités que la rhubarbe offre, autant dans les desserts que dans les mets salés. Il m’avoue d’ailleurs candidement n’avoir jamais mangé de la rhubarbe autre part qu’au Québec. Original, Thémis!

S’il était un légume, il me lance tout de go : « Le blé d’inde! Quand je suis arrivé ici, j’ai trouvé d’abord le nom poétique! Du blé d’inde! Imagine! Comme c’est rigolo! Pour moi le blé d’inde, ce n’est pas le maïs, le blé d’inde évoque chez moi la convivialité, la gourmandise, alors que le maïs me semble destiné aux animaux… J’aime la manière la plus simple de le manger, comme lors des fameuses épluchettes de blé d’inde, avec du beurre et un tout petit peu de sel, c’est une merveille! »

Thémis dis-moi, dis-moi l’ami, pourquoi faire le choix des produits d’ici ? « On sait maintenant que moins les fruits et les légumes voyagent, meilleurs ils sont, naturellement, car plus c’est près, plus c’est frais. Cela donne aussi d’autres avantages sur le plan écologique : cela encourage l’économie locale et les agriculteurs qui travaillent fort pour les produire. Personnellement, aujourd’hui, après 40 ans de métier, le côté création ou le côté culinaire est un aspect qui m’intéresse de moins en moins… par contre, ce qui m’intéresse beaucoup plus ce sont les répercussions sociales, environnementales, « santé » de la nourriture. Cette dimension m’intéresse plus que les recettes de laboratoire ou l’esthétisme de la cuisine. 

Maintenant si tu me demandes qui est le meilleur cuisinier, je te répondrai : c’est dieu! Il n’y a pas un cuisinier au monde qui peut faire la meilleure fraise, la meilleure cerise! C’est une œuvre divine! Le produit est parfait en tant que tel! Juste assez mur, juste assez sucré, tout plein de saveur, gorgé de soleil, que veux-tu de plus? Paradoxalement, on cuisine le produit on le coupe, on le broie, on le cuit, on le sucre, et alors on détruit complètement une œuvre qui était parfaitement au point par elle-même. Tout cela m’amène à conclure que les meilleures choses que je n’ai jamais mangées, ce sont les choses offertes simplement par la nature. Lorsqu’il y a plus de 4 ingrédients dans une recette, c’est trop! On revient donc au blé d’inde : cueilli à point, avec du beurre et du sel, et dégusté dans toute sa splendeur. Ceci étant dit… je suis un fan du pudding à la rhubarbe et aux fraises : simple, mais oh combien délicieux! »

Le soir où il m’a accordé cette entrevue, Thémis recevait 22 amis de son club de judo. Au menu : du filet de porc, simplement grillé, préalablement mariné dans du combava (l’autre nom est la lime Kaffir) et du sirop d’érable… Il m’avoue en riant qu’il doit conserver l’image exotique qu’il porte avec fierté, alors il restera fidèle à la chayotte qui servira d’accompagnement au porc d’ici. 

Et le chef d’ouvrir une parenthèse sur les épices : « J’utilise du gingembre ou des épices même si elles ne poussent pas ici. Mais tu sais, depuis que le monde est monde, les épices ont toujours voyagé, à dos de chameau, à dos d’âne ou en bateau, ou sur la route des épices… Ce qu’on n’a pas ici viendra d’ailleurs, et on utilise ces épices qui viennent d’ailleurs pour donner un petit gout spécial à nos produits locaux. »

Il rêve d’une gastronocratie! C’est un néologisme qu’il a créé. En résumé, cela représente le pouvoir de la gastronomie, qui doit être la référence d’une société sur  le plan communautaire, culturel, environnemental et économique. Dans une gastronocratie, il n’y aurait plus personne qui mourrait de faim, des cours de cuisine seraient donnés aux enfants dans les écoles, on leur apprendrait d’ou viennent les produits, comment ils sont faits, qui les a récoltés, on leur apprendrait à acheter des produits, à être de bons consommateurs. « Par exemple, du chocolat qui est bon au goût devient un poison s’il a été récolté par des enfants dans un environnement qui n’est pas pour eux… tu vois ce que je veux dire? » 

Bien sûr que je vois ami Thémis. 

« Dans une gastronocratie, les producteurs seraient des citoyens d’élite. C’est mon rêve! C’est cette façon de voir les choses, cette philosophie qui m’a poussé à créer Cuisiniers sans frontières (CSF). Donner une dignité à l’être humain par la nourriture. On élève le métier de cuisiner à un rang des plus respectable : la cuisine pour élever l’humain, pour élever la dignité de l’homme, pour élever l’âme! La cuisine pour donner aux humains la canne à pêche, le coffre à outil qui leur apprendra à travailler et leur donnera la fierté et non pas le poisson tout cuit dans la bouche. La gastronocratie, c’est une piste de réflexion pour le salut de l’humanité et l’accès au bonheur. » Rien de moins. 

Hallelujah Thémis, longue vie à toi, tes projets comme celui de CSF que tu portes avec toute ton énergie et ton grand amour des autres. 

Propos recueillis et retranscrits par Isabelle Ferland pour Fraîcheur Québec.

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