Il cueille des champignons à profusion. Il chasse le canard, l’oie, l’ours, les bécassines et le chevreuil... Il gère plus de 100 employés, mais ne travaille ni les fins de semaines, ni les soirs de semaine. Il s’appelle Marc-André Royal, un chef éminemment sympathique, talentueux et généreux. Entrevue royale avec un gars qui ne l’est pas moins.
Un parcours peu orthodoxe l’a amené à devenir le chef qu’il est. Il a 17 ans quand il décide de partir pour les Rocheuses réaliser son rêve de devenir planchiste professionnel, mais la glisse, c’est bien beau, mais encore faut-il se la payer. Il commence donc à travailler dans un resto de Whistler le soir, Araxi, et dévale les pistes le jour. Après quelques années de ce régime, il décide de revenir à Montréal et de suivre le cours de cuisine à l’ITHQ, tout en étant employé à l’Express, le bistro notoire de la rue St-Denis, où il fait ses classes. Une fois son cours à l’ITHQ terminé, il retourne à Whistler et s’y installe pour de bon, retournant travailler au restaurant Araxi. « J’étais jeune et je travaillais bien fort dans ce restaurant avant-gardiste, ce qui m’a permis d’apprendre le métier. À cet endroit, je suis passé de garde-manger à entremétier puis à sous-chef en peu de temps et la pression combinée à la rivalité de mes collègues d’alors qui me voyaient avancer professionnellement, furent parfois difficiles à gérer. Mais j’ai appris, appris à gérer mon stress, prendre ma place et diriger des employés. »
 
C’est une mésaventure qui va pousser ce jeune chef à réaliser que c’est vraiment la carrière qu’il désire. Il se blesse en planche et revient au Québec. Il va alors travailler avec plusieurs chefs avant d’ouvrir son resto à lui, l’œil bien ouvert et la tête prête à l’apprentissage. Il œuvre ainsi aux côtés de Claude Pelletier, puis traverse l’Atlantique pour aller bosser à Londres où le rythme fou dans une cuisine incroyable sera son lot pendant une année. De retour au Québec, il se joint à l’équipe du 357C qui compte comme joueurs plusieurs jeunes chefs prometteurs. Puis, la vie, la vie, il rencontre Annick, la femme qui partage ses passions, et décide dès lors de s’installer pour de bon dans la belle province, il prend le pari d’ouvrir un restaurant dans son quartier d’enfance, Ahuntsic, et fonde sa famille.
 
Ainsi naissent la même année Le St-Urbain et sa première fille en 2008. Le resto de quartier fut immédiatement un succès, offrant à sa clientèle un menu de saison, frais (ils n’ont aucun congélateur), le plus local possible en tout temps. En 2011, il fonde la Bête à Pain, une boulangerie artisanale qui connaît, elle aussi, une réussite immédiate. Sa deuxième fille vient au monde en la même année. De succès en succès, une deuxième Bête à Pain est inaugurée dans Griffintown en 2016 puis une troisième ouvrira au début de ce printemps à Laval! Le succès amène le succès dit-on…
 
Aujourd’hui, il gère ses entreprises en croissance et plus de 100 employés, mais il n’entre plus dans les cuisines pour travailler les soirs, sauf pour son propre plaisir. «  Je suis le chef qui se promène partout mais qui ne travaille plus des heures de fous! Je m’occupe des nouvelles boulangeries, il y a beaucoup d’énergie à mettre là-dedans sur le plan planification, concevoir, engager les employés, former les équipes, créer les plats qu’on veut proposer à notre clientèle, trouver des produits et des fournisseurs. Je ne suis plus dans les cuisines comme auparavant. Cependant, il y a 5 ou 6 ans, ce n’était pas le cas! Je travaillais trop, ne vivais plus. Je veux être présent pour ma famille alors j’ai organisé ma vie pour que je ne sois plus essentiel! S’il manque un employé, ce n’est pas moi qui pallie, mon cellulaire ne sonne pas. Mes différentes équipes d’employés sont assez grandes et autonomes pour s’organiser par elles-mêmes. C’est l’ultime avantage d’être gestionnaire, dit-il avec un sourire dans la voix… »
 
Lorsqu’on suit Marc-André sur les réseaux sociaux on voit souvent des photos de ses filles : à vélo, à la pêche, aux champignons – son aînée s’intéresse beaucoup à la mycologie et reconnaît plusieurs variétés de champignons me dit-il, en train de servir des viennoiseries lors de la grande guignolée des médias ou d’aider papa à la préparation d’un fond de veau ou du repas du soir. « Je veux qu’elles sachent cuisiner, c’est une grande lacune chez plein de gens, je connais des hommes de 50 ans qui ne savent même pas se faire une omelette, quand on y pense, c’est effrayant! On mange trois fois par jour, il faut que ce soit bon et au goût et pour la santé! Plein de monde achète des choses préparées à l’avance qui s’avèrent être plutôt ordinaires sur le plan goût et côté nutrition. C’est une question de valeur, et je crois sincèrement qu’il faut apprendre à préparer des repas à partir de zéro. Ma grande de 10 ans a fait un bœuf braisée en fin de semaine! Cela me rend fier. Tranquillement, je leur montre les bases; monter une sauce blanche ou brune, faire des pâtes, des gâteaux, des soupes, des muffins, des affaires simples que tous les gens devraient connaître… »
 
Pour lui, mettre au menu des produits du Québec est absolument primordial. «  C’est certain que l’hiver c’est un peu plus difficile mais aussitôt que le printemps arrive, je suis le premier à mettre des aliments d’ici au menu du St-Urbain, on fait de grands efforts  pour utiliser beaucoup de produits québécois. Je demande à mes employés d’être sensibles à la provenance de ce qu’ils achètent, à mes fournisseurs de me trouver des produits d’ici. L’été je vais acheter directement auprès des producteurs, à Mirabel, Lachute, Laval… Chez un je trouve ma rhubarbe, chez l’autre mes légumes, chez le troisième mes petits fruits… 
 
Je lui demande quelles recommandations il ferait aux jeunes qui veulent suivre son parcours et devenir chef. On sent le chef réfléchir au bout de la ligne, puis il me raconte une anecdote : « L’autre jour, un jeune est parti de mon resto en m’avertissant par texto. Tu te rends compte? Par texto! C’est effrayant! Ce manque de respect et de professionnalisme me renverse. J’ai pris mon temps avant de devenir chef, j’avais des objectifs à atteindre, un à un, je voulais voir et apprendre pour parfaire mes connaissances. Aujourd’hui, les jeunes veulent devenir chef en 2 ans, ils s’attendent à un succès immédiat et ne veulent pas trop y mettre d’efforts ou de temps.  J’ai été plusieurs années au garde-manger d’un restaurant, cela m’a fait passer à travers des saisons complètes de fruits et légumes, alors aujourd’hui je connais les ressources et leur saisonnalité. J’ai travaillé avec plusieurs chefs, j’ai passé des années aux poissons ou aux viandes.. ce n’est pas parce que tu as fileté deux poissons dans ta vie ou désossé un canard que tu connais la job! Ils sont trop pressés. Ils veulent faire des viandes, mais sont incapables de couper un poulet convenablement en huit morceaux. Ils vont trop vite, il y a des étapes à suivre et il faut les traverser pour arriver à un niveau de travail sérieux et méthodique. Selon moi, c’est avec la répétition que l’on apprend. L’autre chose que je leur conseille, c’est d’apprendre à communiquer. Dans une cuisine, il faut se parler, s’aider, s’entraider, voir le travail à faire… Les jeunes sont dans leur bulle, centrés sur eux-mêmes et leurs besoins alors que le travail en cuisine en est un d’équipe… »
 
Pour terminer cette belle entrevue, je le fais sourire en lui demandant, comme à tous les chefs interviewés, quel fruit et quel légume serait-il. Côté fruit, il choisit la framboise, petit fuit qu’il affectionne particulièrement et qu’il cueille dans les bois de son chalet. « Manger des framboises natures dans le bois avec mes filles et ma blonde, ça c’est un plaisir simple et vrai. » Côté légume, c’est pour le pois vert qu’il opte. « Mais de vrais pois verts, frais, au goût sucré, tout juste sortis du jardin. On en mange peu ici, c’est portant incroyable comme saveur et fraicheur… »
 
Voilà un jeune chef dynamique, un entrepreneur persévérant, un père attentionné, un amoureux de la vie, un passionné de son métier, et, surtout, un modèle à suivre pour les jeunes qui veulent devenir chef dans la vie.

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