Je ne sais pas pourquoi mais mes doigts ont tapé sur le clavier des titres de paragraphes rimant en « eur », puis le téléphone a sonné et c’était chef Simon Mathys au bout de la ligne. En introduction, je lui raconte que je suis passée à son resto fin août avec une amie, et que c’est ce qui m’a donné le goût d’écrire sur Manitoba, mais il était en vacances à ce moment. Et Simon de me répondre : « Ah! Tu es tombée dans la seule semaine de vacances que j’ai prise cet été! » Mes doigts, qui venaient d’écrire « Dur labeur » soit le titre de mon premier paragraphe, ne s’étaient pas trompés…
 
Dur labeur
Donc, une seule semaine de vacances cette année! « C’est dur ?», que je demande au chef.  Et lui de me répondre, avec un élan du cœur et une franchise bien sentie dans la voix: « Non, je ne pense pas, c’est plutôt l’fun! On travaille avec plein de monde vraiment nice, de beaux producteurs, de beaux produits, une super équipe en cuisine, notre job c’est de rendre du monde heureux avec notre vision et notre façon de faire de la restauration. C’est vrai, on fait de longues heures. Mais on parle trop souvent négativement de notre métier, sans dire que c’est un métier super enrichissant sur le plan humain. Naturellement, il y a des pours et des contres, du positif et du négatif, comme dans toute job, mais je vois vraiment plus de positif que de négatif dans ma job. » J’ajouterais, Simon, que le bonheur que tu ressens à faire ton métier se reflète résolument dans les saveurs heureuses de tes plats…
 
Des honneurs
Chef Mathys se rappellera longtemps de 2019. Il a été finaliste catégorie Chef de l’année et finaliste catégorie Restaurant de l’année au gala des Lauriers de la gastronomie. « C’est une belle année ! », me dit-il. « En plus, je suis allé à Paris, pour participer à l’Omnivore en mars, c’est un gros festival qui parle de cuisine, de nouvelle cuisine, de nouveaux chefs… » Et lui de me suggérer d’aller lire sur le web à propos de ce festival, ce que je m’empresse de faire pour mieux comprendre. Je tombe sur cet extrait qui le résume bien : « Omnivore aime Montréal et ses jeunes chefs, doués voire surdoués. Simon Mathys le démontre avec le tournant-tremplin qu’il a fait prendre au Manitoba, adresse ancrée dans le Mile End. Il y fait aujourd’hui une cuisine qui puise dans l’héritage et les racines de la culture québécoise : des botaniques et plantes sauvages amérindiennes aux gibiers et pièces entières fumées. » Lors de ce festival chef Mathys a présenté trois recettes, soit une à base de phoque, une autre à base de topinambours mariés à des crosnes marinées et de l’anguille fumée, puis, finalement, un troisième plat fait d’omble de l’Arctique cru, servi avec avec œufs de poisson et de petits fruits concassés… une cuisine habile, des ingrédients qui sont fièrement représentatifs de nos terres, nos champs, nos forêts, nos eaux. Une identité culinaire canadienne, voir québécoise, bien définie, que Simon a acquise au fil de ses années de travail dans différents établissements reconnus à Montréal et à Québec. Car tout un parcous a-t-il fait au cours des années.
 
Gradué de l’École hôtelière de Laval en 2004, il apprend le métier auprès d’un chef français qui tient une belle et bonne table à Laval, le St-Christophe. « J’ai appris toutes les bases classiques de la cuisine française, vraiment j’ai été chanceux de tomber sur ce chef comme premier mentor, il m’a donné une solide formation en cuisine. Puis je suis allé travailler quelques années au Laurie à Québec avec Daniel Vézina, j’ai fait le sommet du G8 à Davos en Suisse à la place du chef – calife à la place du calife – puis, de retour à Montréal, j’ai cuisiné au restaurant Les Cons servent à côté de Stelio Perombelon (un autre as de la cuisine) pendant 2 ans. De retour après un long voyage « sac à dos » en Europe de quelques mois, ce fut tour à tour les restaurants Bar et Bœuf, Racines, Accords, et maintenant, le Manitoba, où je suis présentement bien et heureux, Manitoba qui signifie en langue autochtone, là où les grands esprits se rencontrent. » En effet.
 
Des cueilleurs
Simon cuisine au gré des saisons et selon les arrivages qui se présentent à lui. En fonction du moment de l’année et de ce que la nature offre, des cueilleurs débarquent au Manitoba avec des champignons, des pousses diverses, des petits fruits, des feuilles comestibles…  « C’est rare que je refuse. Ce matin, un cueilleur est venu me porter des polypores soufrés, je vais donc adapter mon menu et y mettre ces superbes champignons en accompagnement dans un plat. J’adapte ma cuisine en fonction de ces arrivages, en fonction des saisons. Ce sont des plats qu’on va mettre au menu dégustation, un menu unique pour un seul soir, car ce sont souvent de petits arrivages. On crée un plat avec le produit, on tente différents mariages des saveurs, on goute, on joue avec les ingrédients, on se fie à notre instinct, toute l’équipe travaille, tout le monde teste, une discussion s’ouvre, des fois cela fonctionne, parfois moins, mais il y a toujours un bon plat qui sort de ces moments de création. » Ainsi on peut déguster au restaurant érythrone, oxalis, marguerite, caméline, thé du Labrador, asclépiades et autres merveilles qui sont si généreusement offertes par la nature québécoise. Chef Mathys le résume bien : « On a envie de donner au monde le goût des choses, des abondances dont nos forêts regorgent, de revenir aux sources... »
 
Des saveurs
Chef Mathys aime cuisiner avec les fruits, mais encore plus légumes. « En faits, je trouve que les légumes donnent beaucoup de possibilité et nous motivent à nous surpasser. Il faut les travailler de différentes façons, sublimer les saveurs, jouer avec les couleurs. En hiver, ils nous poussent à être créatifs, à se renouveler. Il y a tant de possibilités! On peut les faire fermenter, les congeler, les sécher, les mariner, les griller, les fumer… et c’est sans compter leur bon côté sur le plan nutritif! »
 
Pour continuer sur le sujet fruits et légumes, s’il était un fruit, Simon serait une framboise, car c’est le meilleur petit fruit selon lui! Et s’il était un légume, il serait un rutabaga, « parce que j’en mange beaucoup et que c’est bon au goût! ».
 
Du bonheur
« On n’a pas de prétention, mais on fait du beau travail, j’en suis conscient. Les rencontres que j’ai faites au fil des années, les cuisiniers, les producteurs, les maraichers, les éleveurs, les clients, les 3 repas par été que l’on fait à la Ferme des Quatre-Temps, la majorité des choses que je vis, des gens que je rencontre me procurent un immense bonheur. Au Québec, on est choyé par les produits, on est choyé d’avoir plusieurs saisons qui nous portent à être créatifs, on doit être créatifs! C’est cela qui fait que le métier est vraiment enrichissant et pas du tout redondant, y a-t-il d’autre bonheur que celui de s’amuser tout en rendant les gens heureux? »
 
À vous entendre parler ainsi, je ne pense pas chef Mathys. Bonne poursuite du bonheur!
 
 
Propos recueillis par Isabelle Ferland
Le 10 septembre 2019
 
Sur les repas du Restaurant Manitoba et de la Ferme des Quatre-Temps
Ils ont lieu 3 fois par été, dehors, beau temps mauvais temps. Il faut vraiment être alerte si on veut obtenir une des 70 places offertes lors de chaque événement; cette année toutes se sont vendues en moins de 24 heures. Rendez-vous en mars 2020 pour la vente des prochaines éditions sur eventbrite.

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