Le restaurant du chef Winter Russell porte ce nom, et il faut absolument y voir un sens avec le bouquin. « De nos jours, il faut être un optimiste aveugle, voir complètement naïf pour ouvrir un restaurant qui va réussir à prendre une place enviable et obtenir une renommée certaine avec comme seule offre des produits du Québec. Les gens comprendront-ils la démarche? Sont-ils prêts à y adhérer? De plus, en anglais, le mot « candid » veut dire honnête, sans prétention, légèrement brute… tout cela décrit parfaitement la démarche derrière le restaurant. »
 
Chef Winter Russell ne passe pas de temps dans les épiceries… « La dernière fois que j’y ai mis les pieds, Jean Chrétien était Premier ministre du Canada », me dit-il en riant. Cette exagération en dit long sur l’homme qui use plutôt ses bottines dans les marchés publics ou directement dans la terre des champs de ses différents producteurs. « 95 % de ce que nous recevons au restaurant provient d’amis ou de producteurs qui le sont devenus au fil du temps. Nous allons parfois aussi nous approvisionner chez les frères Birri, au marché Jean-Talon. Cette relation que nous entretenons avec les producteurs nous aide à nous développer et assure en retour aux producteurs un support moral, intellectuel et financier pour qu’ils continuent d’améliorer leur offre. »
 
Je te donne et tu me rends, quoi. 
 
Chez Candide, pas de produit d’ailleurs, sauf quelques exceptions : le sel de Terre-Neuve car ici on ne produit pas de sel de table, les fruits de mer et poissons des maritimes lorsque la pêche est terminée dans la province et les pêches de l’Ontario, lorsque le temps des pêches est arrivé. Un point, c’est tout. L’idée lui est venue d’ouvrir un resto de ce type après un séjour au pays Basque, en Espagne. « Depuis que la région existe, elle propose comme nourriture des plats faits à base de produits de ladite région. Je trouvais que c’était vraiment une belle façon de cuisiner, de développer les entreprises agricoles locales, de supporter les producteurs. J’ai donc décidé de reproduire l’idée au Québec. »  
 
Il faut l’entendre philosopher sur le concept de fraîcheur, ce que cela signifie et quels produits frais manger lors de la saison froide. « En faits, les gens ont raison de penser qu’il n’y a pas beaucoup de produits frais en hiver. C’est vrai. Ceci étant dit, qu’est-ce qu’un produit frais? La majorité des fruits ne sont pas bons frais mais bien lorsqu’ils sont arrivés à maturité, lorsqu’il sont bien à point, gorgés de sucre et de saveur donc détachés du plant ou de l’arbre depuis un certain temps. Plusieurs légumes sont aussi bons, parfois meilleurs, après leur récolte, qu’au moment même de celle-ci, comme les carottes. La saisonnalité et la disponibilité sont deux concepts très différents sur lesquels les gens mériteraient d’être éduqués. Plusieurs champignons sont meilleurs séchés puis réhydratés, leur saveur en est rehaussée. On peut sécher, mariner, déshydrater, cuisiner… par exemple, j’adore les betteraves marinées, et en prime elle me rappellent ma grand-mère! Cette obsession du frais en tout temps doit être remise en question… »
 
Au resto, en mai, hémérocalles, têtes de violon et feuilles d’érythrone d'Amérique comestible étaient en vedette. « Tu sais, ces premières petites feuilles pointues, de deux teintes de vert, qui percent le tapis de feuilles mortes de l’automne précédent bien tôt au printemps, celles qui portent fièrement une jolie fleur jaune à la tête penchée? Ces feuilles se mangent et elles sont délicieuses! »
 
S’il était un fruit, aubergine serait-il, « parce que si tu ne sais pas la cuisiner ce n’est pas particulièrement bon. Il faut comprendre ce fruit - car c’en est un même si l’aubergine est utilisée en légume - pour le porter à son meilleur. » Côté légume, l’asperge ressort après un silence. « J’aime le vert et que c’est bon les asperges. »
 
Sa plus grande fierté? D’avoir participé au Refettorio Ambrosiano, en 2015, à Milan, avec le chef Jeremy Charles comme collaborateur. Le concept de cet événement est de préparer une soupe populaire à partir d’aliments récupérés sinon ils seraient gaspillés, pour 100 enfants de quartiers défavorisés à l’heure du midi et pour 100 sans-abris le soir. L’idée est de Massimo Bottura. Plusieurs chefs renommés à travers la planète y ont participé, dans un mouvement collectif d’entraide et de réflexion sur le gaspillage alimentaire.
 
Je ne peux m’empêcher de terminer ce portrait de chef sur cette phrase de Voltaire que l’on retrouve à la toute fin de Candide : « Il faut cultiver notre jardin. »
 
Vous le faites bien chef Winter Russell.
 
Entretien mené par Isabelle Ferland, en mai 2018, pour le site fraicheurquebec.com

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