Jacques Demers : La production de framboises en serre peut, en quelque sorte, être la suite de celle en tunnels mais en fonction du temps de l’année, et non en fonction des méthodes de production. En fait, c'est un mélange de l’expertise de produire en serre que l’on utilise ici, soit la connaissance du produit - la framboise - adaptée à une expérience aguerrie de production en serre. Nous passerons des framboises en serres en avril, mai et juin aux framboises en tunnels ou en champs pour les mois de juillet, août et septembre pour revenir aux framboises en serres lors des mois d’octobre, novembre et décembre. L’offre de framboises du Québec est ainsi largement améliorée! 

Question : D’où te vient ton amour de la production en serre et passes-tu du temps dans tes serres? 

Jacques Demers : Tu sais, 25 ans et plus de culture en serres dans une famille, cela aide à développer une entreprise… Pour la petite histoire, les gens venaient il y a de cela plusieurs années chercher des fraises à la ferme, car elles étaient vraiment délicieuses, et mes parents ont décidé d’offrir des produits complémentaires aux consommateurs qui se présentaient chez-nous. Ainsi, tomates, concombres furent cultivés, puis l’idée de les offrir en primeur leur est venue… donc l’idée de cultiver ces produits en serres! Nous pouvions ainsi offrir à notre clientèle des produits frais avant l’arrivée de ceux en champs! Ce volet « serre » a été, au fil des ans, augmenté et valorisé technologiquement et en quantité de production, naturellement, afin de mieux subvenir aux besoins des marchés. La culture en serres est le fruit d’un travail de tous les jours, la progression des plantes est quotidienne et réagit en fonction du climat. Nos chefs de serres ajustent la température et les autres conditions des serres pour que les plantes se développent le mieux possible… et je vais voir régulièrement si on travaille bien! Disons que ce n’est pas une promenade, mais j’aime beaucoup être dans les serres et voir les plants progresser.   

Question : Si tu pouvais produire en serre un autre fruit, lequel serait-il? Un autre légume? 

Jacques Demers : Des fraises! On y travaille mais nous ne sommes pas encore arrivés à pleine satisfaction… On recherche une fraise au goût supérieur - compte tenu du coût de la production en serre - pour justifier de déplacer l’achat des fraises d’ailleurs pour les nôtres, il faut offrir un produit nettement différent.  Le consommateur doit comprendre qu’il a un tout autre produit que la fraise de la Californie entre les mains. Et les mures vont suivre très vite, il n’y a qu’un pas de la framboise à la mûre. Finalement, je n’arrive pas à laisser tomber mon projet d’aubergines. Il y a tellement de belles variétés d’aubergines! Cependant, on dirait que le marché n’est pas encore prêt pour ce légume, peu de gens connaissent et consomment des aubergines, sauf peut-être les végétariens chez qui ce segment est en croissance. 

Question : Si tu avais un souhait à faire concernant la production en serre ou celle en champs, lequel serait-il? 

Jacques Demers : (rires)… Je ne sais pas si je peux te dire cela… mais bon, voyons si tu sauras mettre des mots gentils sur un « os » que j’ai depuis plusieurs années concernant une règlementation du MAPAQ. Le ministère interdit actuellement d’écrire l’information suivante sur mes emballages, soit que mes produits ne sont pas issus de variétés génétiquement modifiées, car cela constitue une infraction au sens de la loi. C’est, comment dire, aberrant! J’aimerais pourtant partager ce renseignement crucial, et bien d’actualité, avec mes consommateurs! J’ose croire que cela va changer, que l’on va reconnaître la légitimité d’ajouter cette information pour le bien du consommateur et que je vais gagner mon pari, surtout avec l’actuelle politique bioalimentaire du MAPAQ fait clairement mention que les consommateurs veulent savoir ce qu'ils mangent.

Question : La production de fraises s’étend aujourd’hui sur plus de 5 mois au Québec, grâce aux fraises d’été et celles d’automne. Peux-tu expliquer en mots simples et de façon concise quelle est la différence de production entre les fraises d’été et d’automne? 

Jacques Demers : Dans les faits, les fraises conventionnelles, celles dites d’été, entrent dans un cycle de production de fleurs lorsque la température est froide et que les jours sont courts, donc à l’automne précédent, vers octobre et novembre. Ces fleurs donneront des fruits lorsque les jours seront longs et chauds, c'est-à-dire en juin et en juillet de l’année suivante. Les fraises d’automne, ou celles que l’on appelle à jour neutre car la floraison n’est pas influencée par la durée du jour, entrent dans un cycle de production de fleurs en ce moment, ce qui fait que les plants donneront des fruits en août, septembre et octobre, et ce jusqu’aux premiers gels. En résumé, les variétés traditionnelles d’été font de la mise à fruits alors que les journées sont courtes alors que les fraises d’automne le font n’importe quand! Il s’agit de bien sélectionner  les fraises que nous plantons en champs, de choisir les bonnes variétés, pour prolonger le plus possible la saison de ce délicieux petit fruit rouge! 

Question : Devrait-on vendre les fraises comme les pommes, par variété? 

Jacques Demers : Hummm… non, mais en même temps, cela dépend des circonstances! Lorsque les fraises sont vendues au kiosque de la ferme, les employés sont avisés des variétés proposées lors de la journée et il leur est facile de transmettre cette information aux acheteurs. Cependant, lorsque, par exemple, on livre de grandes quantités de fraises à l’entrepôt de Metro, ce n’est plus possible de vendre par variété. Les fraises sont livrées dans les 24 heures après la cueillette, c’est un fruit fragile, et personne ne joue avec les inventaires pour rassembler et envoyer différentes variétés. Naturellement, dans un contenant donné les fruits sont tous de la même variété. Dans les faits, ce qu’apportent les variétés, c’est de permettre un approvisionnement constant mais de saveurs variées, en fonction du temps de l’année. Les producteurs les utilisent donc pour étaler leur période de production et fournir le plus longtemps et régulièrement possible les marchés. 

Question : Parlant de fraises, qu’elle est ta variété préférée? Et ta recette préférée? 

Jacques Demers : La Seascape, car elle est délicieuse, d’un rouge dense et profond et qu’elle est utilisée à toutes les sauces. C’est une variété à jour neutre, mais on a fait de la recherche et du développement avec cette belle fraise, c’est-à-dire qu’on a provoqué chez elle un nouveau cycle de production qui fait que c’est aujourd’hui une des premières variétés à sortir mais en même temps une variété de fin de saison, d’automne comme on dit. Pour la recette… les fraises, c’est nature que je les préfère! C’est toujours parfait des fraises nature! Sinon, je les aime bien poêlées rapidement dans du beurre, puis arrosées d’un peu de jus d’orange et de grand Marnier et enfin assaisonnées de poivre. Un vrai délice. Quant aux framboises, je les aime nature, ou encore avec du yogourt nature et du sirop d’érable. 

Question : Devrait-on éduquer mieux les consommateurs sur les produits d’ici? Si oui, tu proposes quoi? 

Jacques Demers : Ah oui on devrait, et sur deux plans : Les gens doivent comprendre que la fraicheur amène la qualité qui elle est garante de la valeur nutritive des aliments. Et il y a un volet technique non négligeable qui est souvent occulté dans le prix des aliments et dans ses conséquences environnementales; actuellement, personne ne paie vraiment pour l'émission des gaz à effet de serre (GES) causée par le transport des fruits et légumes.  S'il existait une taxe pour l'émission des GES pour le transport des fruits et légumes, nous serions plus compétitif sur le prix. L’emprunte carbone ne suit pas réellement, les gens n’en sont pas conscients. En fait, tu sais qu’amener 4 tomates en provenance du Mexique jusqu’ici représente l’équivalent en carburant diesel d’une coupe de vin de 150 ml? Tu te rends compte de ce que nous faisons à l’environnement? Tu te rends compte de ce que cela représente en proportion sur le prix? Et je ne parle même pas du salaire minimum qui est incomparable au Mexique et ici… 

Jacques Demers aimerait un jour voir se créer un regroupement de producteurs en serre qui feront la promotion des produits en serre de façon générique. Pour l’instant, il poursuit son œuvre, fier d’avoir persisté dans un marché extrêmement compétitif, d’être arrivé à bâtir une entreprise respectable et respectée dans tout le marché des fruits et légumes au Québec, une entreprise de première classe qui fait des produits du Québec de première classe encore une fois. 

Chapeau à toute l'équipe de Productions Horticoles Demers, un fleuron de l'agriculture d’ici! 

Entretien conduit en mai 2018, par Isabelle Ferland
Agente de développement des marchés, secteur HRI
AQDFL 
 

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